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Ce qui est embêtant avec Greta

23 janvier 2020

 

 

 

Hier à Davos, le Secrétaire d’État au Trésor, Steven Mnuchin, a fait savoir à Greta Thunberg qu’elle devrait aller étudier l’économie. Au niveau personnel, il y a quelque chose de profondément choquant de voir un puissant adulte mâle mépriser une jeune femme et se débarrasser de ce qu’elle dit en proférant un avis paternaliste. Mais, après tout, Davos n’est pas un lieu de réflexion, c’est plutôt un spectacle pour les médias. Alors, demandez où vous voulez dans le monde qui est Mnuchin et qui est Greta. Je parie que beaucoup plus de gens ont entendu parler de Greta que de Mnuchin. Sur l’échelle de Davos, elle est bien plus importante que lui. Mnuchin lui doit le respect.

 

 Ceci dit, son conseil, à elle et à ses collègues activistes, n’est pas dénué d’intérêt. En partie grâce à Greta, la plupart des gens ont finalement réalisé que le changement climatique est un désastre de proportions gigantesques. C’était connu depuis longtemps, mais largement ignoré. Ça a permis aux politiques, encouragés par de très riches lobbies, de ne rien faire. C’est fini, maintenant. Désormais, les politiques doivent choisir entre les électeurs et les lobbies. On peut imaginer qu’ils vont faire ce qu’ils ont l’habitude de faire lorsqu’ils se trouvent coincés par des exigences opposées. Ils vont chercher le point d’équilibre pour leurs intérêts électoraux. Ils vont faire juste ce qu’il faut pour garder suffisamment d’électeurs derrière eux sans perdre le soutien des lobbies pour leurs campagnes électorales. Et voilà que survient Greta, qui dit que ce n’est pas suffisant et qu’il faut immédiatement mettre en route l’arrêt des émissions de carbone. La pression est plus que bienvenue, mais ce qui est embêtant avec Greta c'est que ses propositions ne sont les bonnes du point de vue économique.

 

Cette remarque peut être décomposée en deux parties. En premier lieu, il serait excessivement coûteux de chercher à stopper au plus vite les émissions de carbone. Le risque est de ralentir la croissance, de créer du chômage, et les bas revenus seraient plus touchés que les revenus élevés. Au fil du temps, il se peut que des avancées technologiques – que Greta écarte – accélèrent la croissance et la création d’emplois, mais le premier impact constituerait un choc négatif. Il y aurait des gagnants et des perdants, mais les pertes dépasseraient les bénéfices. Si Greta poursuit des études d’économies, une des premières choses qu’elle apprendra est qu’il est souhaitable pour la société d’étaler au maximum de tels chocs dans le temps. Cette observation ressemble à une recette pour ne rien faire, mais ce n’est absolument pas le cas. Car Greta apprendrait aussi que la meilleure solution est d’équilibrer les coûts (liés à la réduction des émissions) et les bénéfices (les effets sur le changement climatique). Elle apprendrait ensuite que ce point d’équilibre change avec le temps, si bien que les efforts de réduction des émissions de carbone devraient être modifiées en conséquence. Au bout du compte, tout cela signifie qu’une action immédiate très forte est, à coup sûr, indésirable. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas agir immédiatement, simplement que les actions immédiates doivent être correctement réfléchies et intégrées dans un programme qui varie dans le temps.

 

Vient ensuite la question de ce qu’il faut faire. À Davos, Greta a demandé que l’on arrête immédiatement le développement des ressources d’énergie fossile. Cela pourrait paraître une bonne idée, même une demande modérée au regard de que proposent les activistes, mais ce n’est pas le cas. Cela impliquerait une baisse prochaine de la production. Mais la demande énergétique va continuer à croître, et les sources non fossiles ne sont pas près de boucher le trou aussi vite. Dans cette situation, le prix des énergies fossiles devrait augmenter fortement, assurant aux producteurs des profits très confortables, et donc un pouvoir accru de lobbying. Dans une situation où la croissance est sérieusement réduite, un retour de bâton est quasiment garanti, comme ce fut le cas en France avec les Gilets jaunes. Par ailleurs, les énergies fossiles ne doivent pas toutes être rangées à la même enseigne. Le charbon est le plus nocif, le pétrole l’est moins et le gaz est le plus propre. Les gens raisonnables proposent d’arrêter le charbon au plus vite, puis viendrait le pétrole et le gaz en dernier. En plus, la production d’énergie n’est pas la seule source d’émission de carbone.

 

Ensuite, comment s’y prendre ? Greta semble croire qu’il suffit de donner des ordres. Les économistes sont (presque) unanimes à penser que la meilleure approche est de taxer le carbone, dans tous les produits, et d’utiliser une part des revenus à compenser les revenus moyens et bas, et le reste pour encourager la recherche et le développement d’alternatives. Le raisonnement n’est pas complètement évident, mais est bien développé dans l’appel signé par 27 Prix Nobel et une quantité d’éminents économistes. L’idée est de commencer avec une taxe relativement basse (pour éviter un choc trop violent), puis de l’augmenter de manière continue jusqu’à être arrivé à l’objectif recherché. Progressivement, une telle taxe découragerait la consommation de produit carbonés, les investissements dans leur production et leur financement, tout en encourageant dans tous les domaines des alternatives non carbonées. Pas d’argent pour les producteurs, tous les revenus sont consacrés à des bonnes causes.  

 

On nous dit que la taxe carbone est tellement impopulaire qu’il est politiquement impossible de la mettre en place (alors qu’elle est en place dans quatre provinces canadiennes). Voilà pourquoi de nous avons besoin de Greta. Son prochain défi devrait être de convaincre le monde d’adopter une taxe carbone. Si elle fait des études d’économie, elle découvrira vite pourquoi les économistes pense non seulement que c’est le meilleur instrument, mais en fait le seul qui soit nécessaire. La théorie, développée pour toutes les pollutions, est relativement simple et amplement confirmée par une multitude d’expérimentations.

 

Je ne peux pas résister, enfin, à avouer que, malgré mon admiration pour ses talents et son courage, j’en veux à Greta. Elle dit toujours qu’il faut écouter la « science ». Très probablement, comme moi, elle fait confiance au GIEC. Tout aussi probablement, comme beaucoup de monde, elle pense que l’économie n’est pas une science. Trop de désaccords, trop d’imprécisions, c’est vrai. Mais je suspecte que l’on peut en dire autant de la jeune science du changement climatique. Le GIEC rassemble un grand nombre d’experts hautement qualifiés, à qui on demande d’arriver à un consensus sur l’existence et les effets du changement climatique, ce qu’ils ont réussi à faire. Pourquoi ne pas en faire autant sur la question des solutions à mettre en œuvre, une question qui est largement du domaine de l’économie. L’appel des Prix Nobel indique qu’il ne faudra pas longtemps à un panel similaire au GIEC pour arriver à un consensus et pour exploiter les recherches existantes ou en cours pour faire des propositions concrètes d’action.

 

Finalement, Greta n’a pas besoin d’étudier l’économie. Elle doit simplement faire confiance à la science, y compris la science économique. À propos, c’est aussi ce que devraient faire le Secrétaire Mnuchin et son patron, le Président Trump.

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