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Le Brexit et les Zélotes

1er février 2020

 

 

 

Et voilà, nous avons perdu la Grande Bretagne. Certains sont contents, d’autres tristes, souvent pour de mauvaises raisons. Je crois que ça n’aurait pas eu lieu si les Britanniques et les Européens avaient été plus pragmatiques, les Européens surtout.

 

On entend dire que les Britanniques n’ont jamais adhéré au projet européen. Ce qui les intéressait c’était le commerce, et ils ne voulaient pas du reste. Ils n’ont jamais accepté nos principes sacrés, comme la mobilité de tout (biens, services, personnes, capital), ils voulaient pouvoir sélectionner ce qui servait leurs intérêts commerciaux. Ils ont tout compliqué avec leur remise sur les contributions, leurs exemptions et leurs vetos. Elle s’imagine qu’ils retrouvent leur liberté mais, en réalité, ce sont les Européens qui vont pouvoir faire avancer l’intégration. Après tout, De Gaulle avait raison, leur place n’était pas en Europe, ils sont vraiment xénophobes. Bon débarras.

 

On entend aussi dire que le Brexit révèle qui sont les vrais Européens. Ce sont ceux qui envisagent une intégration complète, budgétaires, politique et militaire. Tout ce que nous faisons doit nous rapprocher de cet objectif, qui est notre destin. Des pays n’y sont pas encore prêts ? Pas de problème. Il revient aux pionniers d’ouvrir la voie, tout en gardant la maison commune rénovée ouverte aux retardataires. Au fond, c’est comme ça que ça s’est passé jusqu’à maintenant. Six pays ont créé en 1957 le marché commun et, regardez, 22 autres pays les ont ensuite rejoints. Bon, un pays vient de s’en aller, la belle affaire ! Plusieurs autres pays frappent à la porte et nous seront bientôt plus de trente. Sans avoir à percer un tunnel pour se déplacer dans l’Union – à propos, il a fallu insister longtemps avec les Britanniques pour les convaincre de l’utilité du tunnel sous la Manche.

 

Certes, mais il y a différentes sortes de vrais Européens. Il y a les Zélotes, qui ont laissé la Grande Bretagne s’en aller. Les choses auraient peut-être pu se passer différemment si nous avions été plus avenants avant le référendum. Un bon exemple est la mobilité des personnes. La Grande Bretagne a été la première destination pour des centaines de milliers d’Européens de l’Est, tout simplement parce qu’il y est facile de trouver un emploi (tiens, tiens). Tout le monde y a trouvé son compte, y compris les locaux qui ne voulaient pas servir à table au restaurant ou ramasser les ordures. Mais, comme partout dans le monde, la xénophobie se développe quand les étrangers affluent, regardez en Allemagne, en Italie, en France. La xénophobie est mauvaise, méchante et stupide, mais c’est aussi une réaction humaine. Alors, nous avions le choix entre bricoler le principe de mobilité des personnes et perdre la Grande Bretagne. Les Zélotes ne font jamais de compromis avec les grands principes, et nous avons perdu la Grande Bretagne. Oui, je sais, le principe de mobilité des personnes est inscrit dans les traités européens, et il est très difficile de changer les traités, même si nous le voulons. Ceci dit, il nous arrive d’oublier les traités quand c’est pratique. Prenez, par exemple, le principe de non-sauvetage (no bail-out), qui a été superbement oublié lorsqu’il est devenu contraignant pour la première fois. Des juristes astucieux ont expliqué aux politiques comme le faire en toute légalité. Très probablement, si on le leur avait demandé, des juristes astucieux auraient pu trouver une parade pour bricoler la mobilité des personnes, les droits de pêche, la protection des consommateurs et tout ce qui a surgi dans la campagne du référendum. De la flexibilité de notre part auraient pu montrer aux Britanniques que nous les aimons assez fort pour sacrifier quelques principes. Mais peut-être que nous ne les aimions pas suffisamment ?

 

La raison officielle pour ne pas toucher aux acquis communautaires était la crainte de créer un précédent. Cédez aux Britanniques et vous verrez demain une longue queue se former devant le Berlaymont (le siège de la Commission) pour demain de la flexibilité dans tous les domaines. Les Hongrois et les Polonais demanderaient de pouvoir assassiner l’indépendance de la justice, les Italiens voudront être exemptés du Pacte de Stabilité, chaque pays demandera de contribuer moins au budget tout en recevant plus. Toujours honorer les grands principes quelles qu’en soient les conséquences, voilà ce que prêchent les Zélotes.

 

Mais il existe d’autres variétés de vrais Européens. Ils ont soutenu la création d’une Union Monétaire entre des pays indépendants alors que beaucoup de gens affirmaient que cela ne pouvait pas marcher. Et ça bien failli ne pas marcher, mais l’euro existe toujours et aucun pays n’est parti. En pleine crise, les sondages ont observé une baisse marquée du soutien à l’euro, mais on est revenu aujourd’hui au niveau d’avant la crise. L’union monétaire est quelque chose d’inédit (ils existent quelques autres unions monétaires, mais elles ne sont pas vraiment comparables), tout comme le marché unique. Nous autres Européens peuvent faire preuve d’une extraordinaire capacité à innover. L’Union elle même doit aussi être innovante. Ce n’est pas une fédération, mais presque. Elle se doit d’être suffisamment flexible dans ses principes pour satisfaire tous ses pays membres, ce qui est bien plus compliqué que de défendre des vérités inamovibles. Les vrais Européens qui ne sont pas des Zélotes pensent qu’il aurait été possible de faire la différence entre un assouplissement de la mobilité des personnes et l’indépendance de la justice. Tous les acquis communautaires ne sont pas du même ordre. Nous devons être capables d’en changer certains et d’en maintenir d’autres.

 

Plus généralement, les traités sont le résultat d’une longue sédimentation des résultats de négociations parfois conclues au petit matin par des représentants épuisés. Franchement, tous ces accords ne sont pas de bon sens. Beaucoup de ceux-ci sont anecdotiques mais ils ont la caractéristique d’agacer des citoyens et de nourri l’euroscepticisme, on l’a vu lors de la campagne pour le référendum sur le Brexit. Il est aisé d’ignorer ces petites complaintes, et bien plus compliqué d’ouvrir la boîte de Pandore qui les contient. Nous ne perdrons probablement pas de sitôt un autre pays membre, cela dépendra en partie de ce qui va arriver à la Grande Bretagne après son départ. Mais ce qui nous menace est bien plus inquiétant qu’un nouveau départ. Dans tous les pays de l’Union, le populisme grandit, attisé par l’euroscepticisme. Imaginez un instant que la plupart des pays Européens soient gouvernés par un Salvini, ou un Orban ou une Le Pen. Ce sont aussi des Zélotes, mais d’un autre genre.

 

Nous ne devrions pas être dans la position d’avoir à choisir entre des Zélotes. Il est grand temps pour que les Chefs d’États et de Gouvernements cessent d’ignorer les signaux d’alarme et de mécaniquement imaginer des projets d’intégration avant même de procéder au nettoyage qui s’impose. Il est aussi temps pour que la Commission cesse de considérer que son rôle de gardien des traités consiste à défendre des écritures saintes. Il lui revient aussi de mettre à jour des règles qui sont contre-productives. Il serait dommage de gaspiller le Brexit.

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