CHARLES WYPLOSZ
The Graduate Institute, Geneva
Le budget de la Commission Européenne :
un vieux rituel et ses nouveautés
13 février 2020
Source: Commission Européenne
La tension monte à Bruxelles. Le Conseil Européen – qui réunit les Chefs d’État et de gouvernement – va bientôt devoir décider ce que sera le budget de la Commission pour les sept années à venir. La Commission a peu de ressources propres, elle dépend pour l’essentiel de ce que les gouvernements lui versent, et les gouvernements veulent donc contrôler comment « leur » argent est dépensé. Avec tant de monde autour de la table, tout est en place pour des tensions spectaculaires et des accords arrachés au petit matin. En plus des habituels sujets qui fâchent, des nouveaux problèmes apparaissent cette fois-ci.
Avec le Brexit, un important contributeur au budget s’est retiré. Bien sûr, il y a un pays en moins à recevoir des fonds, mais la Grande Bretagne contribuait plus qu’elle ne recevait, pour environ 7 milliards d’euros en 2018. Par rapport à un budget de 148 milliards c’est une somme conséquente. De plus, la nouvelle présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, semble miser beaucoup sur son projet de Green New Deal, qui devrait être couteux. Moins de recettes, plus de dépenses, voilà qui est inquiétant. Pour corser le tout, le Brexit est un signe qu’être membre de l’UE n’est plus aussi attractif qu’auparavant. Plusieurs pays de l’est européen n’hésitent pas à remettre en question des principes comme l’indépendance de la justice et la solidarité face à la vague migratoire. Dans un contexte de tensions mondiales et avec un Chancelière affaiblie, le Conseil Européen n’est pas en grande forme pour gérer ses bisbilles budgétaires.
Les désaccords habituels portent sur la taille du budget et sur la répartition des dépenses. Tout naturellement, la Commission veut un plus gros budget et les États membres veulent garder leurs sous. Depuis longtemps, le plafond du budget est établi à 1% du PIB de l’UE. La Commission propose 1,1% mais nombreux sont les gouvernements qui veulent rester à 1%. Le débat ne porte pas sur cette différence de 0.1%. Ce qui est en jeu c’est le précédent – abandonner le plafond de 1% - et à quoi sert cet argent.
L’essentiel du budget est consacré à la politique agricole commune (PAC) et à des transferts des pays les plus riches vers les pays plus pauvres. Les deux programmes sont généralement considérés comme inefficaces, voire comme des sources de corruption. Il semblerait logique de les réduire pour ajuster le budget à la situation créée par le Brexit et pour dégager des ressources pour le Green New Deal. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent à Bruxelles. La PAC est devenue un droit pour les agriculteurs comme pour les pays qui en sont les principaux bénéficiaires. Ils ne sont pas prêts à s’en passer.
Les transferts ont pour objectif d’aider à la convergence des niveaux de vie dans les pays plus pauvres vers le niveau atteint dans les pays les plus riches. Malgré un grand nombre d’études, rien n’indique que les transferts atteignent cet objectif. Certaines études détectent des résultats favorables, d’autres aucun effet, et certaines concluent même que l’effet est négatif. Ce qui est sûr c’est que si les transferts dopaient vraiment la convergence, on s’en serait aperçu. Voilà qui est gênant. Un symptôme parlant de cette gêne est le changement de vocabulaire. Jadis on parlait de « fonds structurels », puis de « fonds de cohésion », aujourd’hui il s’agit de « compétitivité et cohésion pour la croissance et l’emploi ». Ceci ne trompe personne.
En fait, l’absence de résultats n’est pas surprenante. Pourquoi les pays plus riches devraient-ils faire, année après année, des cadeaux aux pays plus pauvres ? La solidarité est une raison. C’est compréhensible, mais cela ne concerne pas la croissance. L’autre raison est que les pays les plus pauvres doivent accélérer leurs dépenses d’investissement dans les services publics, l’éducation et les équipements productifs. Ce besoin est indéniable, mais il ne requiert pas nécessairement des transferts inter-étatiques. En principe, le Marché Unique est destiné à promouvoir la convergence grâce aux libertés de mouvement des biens, des personnes et des capitaux. Les mouvements de capitaux sont censés permettre aux pays d’emprunter les ressources qui leur manquent pour financer leurs investissements publics et privés. L’expérience montre qu’un pays pauvre qui développe son commerce pour croître, reçoit les flux de capitaux dont il a besoin, à condition que les investissements publics et privés soient judicieux. Des cadeaux peuvent venir en sus, mais toujours à condition que les investissements publics et privés soient judicieux. Ainsi, un test de la bonne utilisation des ressources est que les flux de capitaux et les dons se mettent en place en parallèle. Ce n’est pas ce qu’on observe.
La figure ci-dessus présente, en pourcentage de chaque pays, les transferts nets en 2018 (la différence entre les montants reçus et les contributions versées) du budget de l’UE sur l’axe vertical et, sur l’axe horizontal, le compte courant. Le compte courant mesure l’épargne nette nationale, la somme de l’épargne publique et privée moins les dépenses d’investissements publics et privés. La configure confirme que les transferts vont bien des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres, les pays de l’est ainsi que la Grèce et le Portugal. Ces transferts représentent des sommes importantes, qui peuvent aller jusqu’à 4% du PIB. Par contre, à de rares exceptions près, les comptes courants des pays des pays récipiendaires sont positifs ou nuls. Ces pays n’empruntent pas à l’étranger. Certains ont même des comptes courants positifs, ce qui indique qu’ils prêtent de l’argent au reste du monde. Il se peut qu’ils n’aient pas besoin d’emprunter tant ils sont occupés à absorber la manne fournie par Bruxelles. Ou bien, il se peut que les investisseurs étrangers aient conclu que ces pays ne sont pas attractifs. Quelle que soit la bonne interprétation, la figure suggère que les transferts ne sont pas nécessaires, voire même que les investissements publics et privés ne sont pas judicieux.
S’il est exact qu’une part importante des dépenses de la Commission est mal utilisée, pour ne pas dire gaspillée, il va être difficile d’encourager une augmentation de son budget et le lancement de nouveaux programmes. C’est ici qu’interviennent des considérations purement politiques. Officiellement, les transferts sont dirigés vers les régions, pas vers les pays. Tous les pays, riches et pauvres, se sont débrouillés pour que certaines de leurs régions soient reconnues comme pauvres et donc récipiendaires des aides européennes. Toute idée de réduire, voire d’éliminer, les transferts créera des conflits entre les pays, entre les régions au sein de chaque pays et entre tous les pays et la Commission, pour qui ces programmes sont une source de pouvoir et d’influence.
Si les transferts sont maintenus, les négociations sur le budget consistent alors, pour chaque pays, à s’assurer qu’il reçoit le plus d’argent possible. Partout et toujours, les discussions budgétaires sont compliquées. Elles le sont encore plus dans l’UE en raison de la multiplicité des intérêts en jeu et directement représentés au sein du Conseil Européen. Cette année, la situation est encore plus délicate que d’habitude. Le résultat le plus probable sera le quasi maintien du statu quo, ce qui serait désespérant.