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Covid-19 : les coûts à long-terme

22 avril 2020

 

 

Un jour, il faut l’espérer, le nouveau coronavirus aura disparu. Mais il laissera derrière lui une facture gigantesque. Au-delà du nombre effrayant de ses victimes et des souffrances indicibles, les dettes publiques auront augmenté comme jamais en temps de paix. Les pays qui avaient déjà accumulé des dettes très élevées avant le Covid-19 vont devoir faire face à un redoutable défi. Comment pourront-ils le relever ?

 

Des dettes publiques lourdes constituent un fardeau. Pour en servir les intérêts et assurer les remboursements, il faut lever des impôts. Ainsi, les gouvernements de l’Italie, du Portugal et de la Grèce dépensent 3% ou plus de leur PIB pour assurer le paiement des intérêts. Ce sont des ressources qui seraient bien mieux utilisées autrement, pour financer des dépenses productives ou socialement importantes. Ou alors, sans cette charge, les impôts pourraient être allégés, ce qui redonnerait du pouvoir d’achat aux contribuables. De plus, quand elles sont lourdes, les dettes publiques sont dangereuses. Les prêteurs se demandent s’ils seront remboursés. Ils se tiennent cois, mais peuvent soudainement paniquer dans un mouvement moutonnier, dès lors qu’ils se rendent compte que certain d’entre eux cherchent à céder les parts de dette qu’ils détiennent. L’orage n’éclate pas dans un ciel bleu.

 

Rien de ce qui précède ne suggère que les gouvernements ne devraient pas répondre, sans compter, à l’épidémie du Covid-19. Bien au contraire, même si l’on s’en tient à la question étroite de la dette publique, la meilleure stratégie consiste à réduire autant que possible la gravité de la récession et à assurer un redémarrage vigoureux dès que possible. Mais il n’est pas trop tôt non plus pour se préoccuper de la dette qui aura été accumulée.

 

Tout d’abord, cette préoccupation concerne le type de mesures mises en œuvre. Il est essentiel que toutes les dépenses engagées maintenant soient strictement temporaires. Un exemple parmi tant d’autres. Les allocations en faveur du chômage à temps partiel constituent une excellente réponse à la chute brutale mais temporaire de l’activité provoquée par le confinement. Mais cette mesure ne doit pas devenir permanente car elle encouragerait les entreprises à s’en servir de manière abusive en temps normal. Un autre exemple concerne les grandes entreprises, comme les compagnies aériennes, qui subissent un choc particulièrement violent. Sans aucun doute, il faut leur permettre de survivre. Mais les aides de ce type doivent être exceptionnelles, vraiment. Elles doivent être structurées de manière telle qu’elles soient très désagréables en temps normal. C’est d’ailleurs ce que font les gouvernements quand ils en acquièrent des parts – à condition que ces prises de participation soient limitées dans le temps – ou quand ils exigent que les paiements de bonus et de dividendes soient suspendus. Il en va de même en ce qui concerne les banques, à qui on demande d’accorder des prêts risqués à leurs clients.

 

Mais le défi le plus redoutable viendra plus tard, quand il faudra réduire les dettes une fois que le virus aura disparu. Pour beaucoup, la solution est simple : on fera payer les riches. Après tout, confinés dans des conditions agréables et sans souci pour leurs revenus futurs, ils n’auront pas souffert des mesures de quarantaine. Bien sûr qu’ils devront être mis à contribution mais la mauvaise nouvelle est qu’il n’y a pas assez de riches pour résoudre ainsi le problème. Si l’on part dans cette direction, pour lever des ressources suffisamment importantes, il faudra descendre plus bas dans l’échelle des revenus et taxer les couches moyennes, un choix de nature à faire tomber bien des gouvernements. Ce pourrait être un bon test de solidarité nationale, mais payer plus d’impôts est nettement moins motivant qu’applaudir par la fenêtre les personnels soignants. Il en va de même en ce qui concerne l’imposition des entreprises. Certaines entreprises, grandes et petites, profitent grandement de la crise sanitaire et du confinement. Il sera tout à fait logique de leur imposer une surtaxe exceptionnelle sur les profits réalisés en 2020. Mais beaucoup d’autres entreprises, grandes et petites, sont mises à mal et devront se rétablir après la crise. Les imposer serait parfaitement contre-productif.

 

L’autre manière de s’y prendre pour dégager des surplus budgétaires serait de réduire les dépenses publiques. Mais la demande pour plus de dépenses en matière de santé sera irrésistible, et on ne devrait pas pas y ésister. De plus, une des leçons du confinement est que les personnes plus éduquées ont beaucoup plus souvent la possibilité de travailler à distance et qu’elles obéissent plus spontanément aux mesures de quarantaine. Tout naturellement, il serait bon de dépenser plus pour l’éducation. Cela signifie que les autres dépenses publiques devraient sérieusement baisser, non seulement pour dégager des ressources pour la santé et l’éducation, mais aussi pour diminuer l’ensemble du budget. Peu de gouvernements pourront atteindre cet objectif.

 

Le plus probable c’est que, au mieux, la fiscalité contribuera un peu à la réduction de la dette et qu’il ne faudra pas vraiment compter sur les dépenses. Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à ce que les dettes publiques diminuent de sitôt. C’est ce que confirme l’expérience des après-guerres. Le reflux demande des décennies, pas des années.

 

Une stratégie souvent adoptée consiste à laisser l’inflation augmenter. On a vu des augmentations soudaines et gigantesques en Autriche, en Hongrie et en Allemagne après la première guerre mondiale, en Hongrie et en Grèce après la seconde guerre mondiale. Si l’hyperinflation détruit quasi-instantanément la valeur des dettes, elle provoque une profonde désorganisation économique et sociale. Il est hautement improbable qu’elle soit tolérée dans les pays développés. Pour sérieusement réduire les dettes, une inflation modérée devrait être maintenue dans la durée mais, alors, elle sera inopérante si les taux d’intérêt augmentent en proportion. En effet, dans ce cas, l’érosion de la dette est compensée par la hausse des coûts d’emprunt. Pourtant, c’est l’approche qui a été adoptée dans de nombreux pays après la seconde guerre mondiale. Elle a réussi en raison de la répression financière alors mise en place, qui limitait les hausses de taux d’intérêt et parfois obligeait les banques à acquérir des bons du Trésor chichement rémunérés. La répression financière a été graduellement abolie dans les années 1970-80. Depuis lors, bien que soumis à un niveau élevé de réglementation, les marchés financiers opèrent librement, ce qui a conduit à la mondialisation financière. Il y a fort à parier que nous allons assister à de nombreux débats autour de l’idée de faire marche arrière et de rétablir une forme ou une autre de répression financière. Tant que les taux d’intérêt restent voisins de zéro ou négatifs, il est bien sûr illusoire d’imposer des limites, mais le sujet pourrait apparaître si l’inflation se mettait à augmenter. Il existe d’autres manière de réprimer les marchés financiers, en particulier des mesures destinées à prévenir les crises. Dès le mois de mars, plusieurs pays européens – Belgique, Espagne, France, Grèce et Italie – ont interdit une catégorie d’opérations spéculatives.

 

Accompagnée de mesures de répression financière, une inflation modérée – de l’ordre de 5%  – est un moyen efficace pour réduire progressivement les dettes. La taxe d’inflation, comme on appelle cette approche, est relativement indolore pour ceux qui la subissent, essentiellement les épargnants et les employés dont les revenus ne sont pas indexés. En deux décennies, l’objectif peut être atteint, comme ce fut fréquemment le cas dans les années 1970. Puis, dans les années 1980, les taux d’inflation ont été abaissés un peu partout dans le monde. La clé du succès a été de rendre les banques centrales, qui déterminent in fine le taux d’inflation, indépendantes de leurs gouvernements, qui ne résistent pas toujours à utiliser la taxe d’inflation en cas de besoin. Pour aujourd’hui faire remonter l’inflation, il faudrait retirer aux banques centrales leur indépendance, soit légalement les y obliger. Une telle démarche serait extrêmement controversée parce que l’expérience a amplement établi que les choses ne se passent pas bien lorsque les banques centrales sont soumises à leurs gouvernements. Mais, lorsque l’inquiétude vis à vis du niveau très élevé de leurs dettes grandira, les gouvernements pourraient bien oublier ces anciennes leçons.

 

La solution la plus simple pour réduire les dettes est tout simplement de les annuler, partiellement ou en totalité. C’est ce qu’on appelle un défaut ou, plus charitablement, une restructuration de dette. Les gouvernements ont ce pouvoir de renier leurs engagements financiers sans aller en prison comme vous et moi, ou sans être mis en faillite comme n’importe quelle entreprise. En réalité, ce n’est pas si simple que ça. Les prêteurs, ceux qui détiennent la dette – particuliers et investisseurs professionnels – détestent évidemment cette forme de vol. Un gouvernement qui fait défaut ne peut donc plus emprunter, même si l’expérience indique que ce statut de paria financier ne dure pas très longtemps, comme le montre le cas de l’Argentine. Une telle solution pourrait donc devenir intéressante une fois que toutes les autres solutions ont échoué.

 

La zone euro a fait face à un problème spécifique. Il est frappant que les dettes publiques du Japon et des États-Unis sont très élevées, mais que nul ne s’en inquiète vraiment. L’explication est que nul ne doute que leurs banques centrales feront tout ce qu’il faut pour soutenir les dettes de leurs gouvernements. Aucune assurance de ce genre n’existe dans la zone euro. La BCE n’a pas les coudées franches en raison de profonds désaccords entre gouvernements. C’est pour cela que les dettes publiques élevées sont dans une sorte de zone dangereuse vis à vis des marchés financiers et pourraient y demeurer durant les années à venir. Un mouvement de panique à l’égard de la dette italienne, qui atteint une somme impressionnante, pourrait sonner le glas de l’euro.

 

Une solution possible consiste à mutualiser partiellement les dettes des gouvernements des pays membres de la zone euro. Ainsi, une partie de la dette italienne deviendrait de la dette garantie collectivement par tous les pays membres de la zone euro. Aux yeux des marchés financiers et donc des prêteurs, ces eurobons seraient parfaitement sûrs, à juste titre. La partie restante de la dette italienne serait moins élevée que celle qui existe aujourd’hui, et donc éloignée de la zone dangereuse. Depuis des années, cette idée a été développée sous plusieurs formes mais elle est totalement rejetée par les pays dont les dettes sont faibles. Ils n’ont aucune envie de garantir ce qui, à leurs yeux, demeure de la dette étrangère.

 

D’autres solutions permettraient à la BCE d’acquérir une partie des dettes publiques et de les garder pour toujours dans son portefeuille. Le résultat est qu’en pratique ces dettes cesseraient d’exister. En effet, les gouvernements continueraient de verser des intérêts à la BCE, mais comme celle-ci verse ses profits aux pays membres, ces paiements reviendraient à l’expéditeur. Plus personne ne paierait pour les autres. Quant aux dettes restantes, elles ne seraient plus dans la zone dangereuse. Certains – ceux-là même qui ont crié au loup en 2015 quand la BCE a injecté d’énormes quantités d’argent – disent craindre une inflation rapide. Ils ont tort, une fois de plus.

 

En fin de compte, le problème des dettes publiques trop élevées va devenir une préoccupation majeure après la crise sanitaire. Il n’y pas de solution aisée, elles sont toutes douloureuses. Mais il faudra bien faire quelque chose si l’on veut éviter des nouvelles crises financières.

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