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Angela Merkel : un maigre bilan économique

 

16 Septembre 2021

Angela Merkel va bientôt quitter la chancellerie sous des acclamations enthousiastes. Durant ses quinze années au pouvoir, elle a été admirée pour la stabilité de sa conduite des affaires non seulement en Allemagne, mais aussi en Europe. Hélas, du moins pour ce qui est des questions économiques, sa fameuse stabilité a largement été synonyme d’inaction.

 

Je ne suis pas le mieux placé pour discuter son action en Allemagne, mais je me rappelle deux épisodes spectaculaires. Le premier est sa décision de fermer les centrales nucléaires après le désastre de Fukushima. C’est une erreur historique. L’énergie nucléaire est le moyen le plus efficace pour produire de l’électricité à grande échelle sans rejeter de CO2. Les panneaux solaires et les éoliennes sont sympathiques mais ils consomment énormément d’espace, leur production d’électricité est irrégulière et il semble impossible qu’ils satisfassent les besoins grandissants d’énergie. C’est bien pour cela que l’Allemagne s’en remet aux centrales à charbon, de loin la pire source d’émission de CO2. Pour l’avenir, l’Allemagne dépendra des centrales à gaz, qui produisent aussi du CO2 à la fois sur place et là où le gaz est extrait. L’Allemagne restera importatrice d’électricité, déplaçant ainsi la pollution atmosphérique vers les pays voisins. De plus, ce pays qui reste plus industrialisé que les autres économies avancées, va voir se réduire son avantage comparatif. Elle devra payer plus cher pour la consommation électrique dont elle aura besoin pour fabriquer ses voitures et ses machines. Ses contribuables vont devoir rembourser les entreprises nucléaires qui ont été fermées quasiment du jour au lendemain. Le désastre de Fukushima a été le résultat d’une programmation bâclée, d’une supervision superficielle et d’une cruelle impréparation. Il eût été bien plus simple et bien moins coûteux de s’assurer que ces procédures sont en bon ordre de marche. Il se peut que les historiens économiques, un jour, feront le lien entre cette décision malheureuse et le déclin économique de l’Allemagne.

Son autre action majeure a été de décider en 2015 d’ouvrir les frontières aux immigrants. Sur un plan humain, Angela Merkel a fait la leçon à ses collègues apeurés. D’un point de vue purement économique, elle résolvait les multiples conséquences néfastes associées à une population déclinante. J’ai alors été sidéré par son courage et par sa vision. Mais mon admiration s’est vite estompée. Sa décision s’est vite révélée être un monumentale erreur politique. En Allemagne, elle a puissamment encouragé la montée de l’extrême droite haineuse. En Europe, elle a ouvert un conflit avec ses voisins orientaux. Au bout du compte, elle a dû faire marche arrière. Le courage et la compassion pour les personnes en détresse ne paient pas politiquement, hélas, mais nous le savions déjà.

 

À part ces deux actions, elle achève ses quinze ans au pouvoir sans laisser derrière elle de réforme économique d’envergure. La bonne santé économique de l’Allemagne durant ses mandats est très largement due aux réformes, alors impopulaires, du marché du travail qui ont causé la perte de pouvoir de son prédécesseur, Gerhard Schroeder. Elle a laissé les grippe-sous du Ministère des Finances élever l’équilibre budgétaire au rang de dogme, coupant dans les dépenses d’infrastructures publiques. Son successeur devra corriger cette omission volontaire.

En Europe, elle a clairement dominé les débats, largement par absence de concurrence. Elle était aux commandes lorsque la crise financière a éclaté en 2008. Elle a laissé son déficit budgétaire croître pendant un an, bravo. Mais elle l’a alors réduit prématurément. En plus, elle a fait pression sur les autres pays européens pour qu’ils fassent de même. La modeste reprise économique s’est essoufflée. Cet épisode a fait apparaître le besoin de réformes dans la zone euro.

 

Ainsi, on savait bien qu’une union monétaire ne peut pas fonctionner correctement si les systèmes bancaires nationaux restent soumis à des règles différentes et à des supervisions nationales dont l’objectif était de protéger des champions locaux. Le résultat a été la création, enfin, de l’union bancaire. Mais, soucieuse de protéger ses intérêts perçus, l’Allemagne a fait tout ce qu’elle pouvait limiter l’union bancaire, qui reste incomplète. Depuis, les géantes banques allemandes se sont rabougries et le réseau des inefficaces caisses d’épargne régionales survit, bien à l’abri des superviseurs européens.

 

On savait aussi que les règles de discipline budgétaire connues sous le nom de Pacte de Stabilité – une création imposée par l’Allemagne en 1997 – étaient si mal conçues qu’elles ne pouvaient atteindre leurs objectifs. L’Allemagne ne pouvait pas bloquer une réforme, mais elle a fait le nécessaire pour que cette réforme soit essentiellement symbolique, se contentant d’ajouter des couches de règles et procédures bureaucratiques. Sans surprise, la zone euro a bientôt succombé à une crise des dettes publiques – que l’on pensait réservées aux pays en développement – et à une seconde récession.

 

La réponse collective à la crise des dettes publiques a été navrante. Sous la pression de l’Allemagne, le premier pays touché, la Grèce, s’est vu obligé de sabrer son déficit budgétaire, totalement incontrôlé par le Pacte de Stabilité, juste au moment où il s’enfonçait dans la récession. Le résultat pour la Grèce a été une dépression d’ampleur historique. Merkel a alors cédé aux demandes de Sarkozy, qui voulait que la Grèce fasse défaut sur une partie de sa dette. Cet épisode, dit de la promenade de Deauville, est devenu un cas d’école du principe selon lequel un défaut doit être décidé au plus vite et jamais annoncé à l’avance. Le traitement réservé à la Grèce a conduit à une vague contagieuse de crises au sein de la zone euro, toutes traitées de la même manière, des baisses profondes des déficits, avec les mêmes résultats, des récessions et une souffrance sociale aigue. Le seul mérite de Angela Merkel est de ne pas s’être opposée au célèbre « quoi qu’il en coûte » de Mario Draghi, le Président de la BCE.  En garantissant les dettes publiques de pays de la zone euro, la BCE a mis fin à la crise. Mais cette intervention aurait dû intervenir bien plus tôt, au départ de la crise en Grèce, pour éviter toute contagion. Cela n’a pas été le cas, semble-t-il, en raison de l’opposition discrète mais ferme de l’Allemagne. La si prudente Chancelière a fini par bouger, mais il était bien tard.

 

Les deux crises européennes consécutives et l’affaire de l’immigration ont joué un rôle majeur dans la montée du sentiment anti-européen qui est désormais influent dans chaque pays. Ce sentiment a nourri la décision britannique de se retirer de l’UE. Quand les sondages ont commencé à indiquer que le Brexit devenait probable, le Premier Ministre David Cameron a fait le tour des capitales pour demander des concessions. Serait-il possible d’accorder à la Grande-Bretagne quelques exemptions des règles européennes ? Le débat était entre le respect des règles acceptées et le pragmatisme. Merkel aurait pu peser en faveur du pragmatisme, l’une des ses qualités maintes fois appréciées. Elle ne l’a pas fait. Les pays du continent savaient que le Brexit serait plus coûteux pour la Grande-Bretagne que pour le reste de l’Europe. Le pari était que les Britanniques s’en rendraient compte et voteraient contre le Brexit. Pari perdu, et tout le monde a perdu. Les dégâts dépassent le cas du Brexit. L’intégrité de l’UE a été brisée, et avec elle l’idée que l’Europe doit rassembler tous les pays démocratiques. Certes, la Grande-Bretagne a toujours été différente mais le défi a toujours été d’accommoder la diversité. Sous la direction de Merkel, l’Europe a échoué.

 

Il est vrai que l’Allemagne a mieux traversé la crise du Covid que la plupart des autres pays, et le mérite en revient largement à Mutti. Mais deux années réussies ne peuvent pas compenser les autres treize années de son règne. Il reste espérer que le prochain chancelier aura plus de vision et d’ambition que d’éviter la critique en Allemagne.

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