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Le nouveau plan de relance européen – 2ème partie

1er août 2020

 

 

L’accord sur le plan de relance de 750 milliards d’euro a quelque chose d’enthousiasmant. Le nouveau mécanisme, qui atteint plus de 5% du PIB européen, est nécessaire pour que tous les gouvernements puissent encourager une reprise à la hauteur de la catastrophe économique créée par le Covid. Il constitue aussi une innovation importante et démontre un niveau élevé de solidarité. Cependant, au-delà des effets d’annonce et du soulagement budgétaire qu’il promet, les montants eux-mêmes sont modestes et de nombreux sujets d’inquiétude émergent des détails de l’accord et de ce qui n’y figure pas. J’examine ces inquiétudes en trois parties. Dans la première partie, je montre que les chiffres annoncés ne disent pas tout et que les dépenses arriveront sans doute trop tard. Dans cette deuxième partie, j’explique que les questions d’aléa moral, qui ont rendu les négociations difficiles, ont été trop largement ignorées. Dans une troisième partie, j’explique mes inquiétudes sur la manière dont ces 750 milliards seront dépensés.

 

 

Le revirement spectaculaire de la Chancelière Merkel fait l’objet de multiples discussions. Des années durant, l’Allemagne a rejeté toute idée d’emprunt collectif par les pays membres de la zone euro. Des émissions collectives de dettes publiques étaient exclues au nom de « l’aléa moral ». Le raisonnement est le suivant. Des émissions collectives de dettes publiques impliquaient l’obligation pour l’Allemagne (et les autres pays qui pratiquent la discipline budgétaire) de garantir les emprunts des pays dont les gouvernements n’ont pas été disciplinés pendant des années. L’aléa moral, dans ce cas, est que de telles garanties revenaient à encourager l’indiscipline budgétaire.

 

Quand la pandémie s’est produite, j’ai affirmé ailleurs (en anglais) que l’aléa moral ne devait pas être encore utilisé pour rejeter toute réponse collective à la grave crise économique qui allait suivre, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le Covid est un choc totalement imprévu (encore que les épidémiologues nous avaient expliqué qu’une grave pandémie était inévitable). Dans ce cas, il n’y pas d’aléa moral. En effet, aider financièrement les pays les plus touchés par le Covid ne risque pas de les encourager à favoriser d’autres épidémies dans le seul but de recevoir plus d’aides. Ensuite, l’existence même de l’euro, et sans doute de l’EU, serait menacée si certains pays se retrouvaient dans l’impossibilité d’emprunter les moyens nécessaires pour faire face à l’épidémie parce que leurs dettes publiques étaient déjà trop élevées. La présence d’un aléa moral – aider des pays lourdement endettés – ne pouvait pas justifier de prendre le risque d’un éclatement de l’UE.

 

La nouvelle ligne officielle, en Allemagne et ailleurs, met l’accent sur le caractère exceptionnel du choc du Covid. Écarter ainsi toute discussion de l’aléa moral est un peu court, cependant. D’abord, il est frappant de constater que l’impact du Covid n’a pas été le même partout. Certains pays ont très vite imposé des règles de distanciations sociales, d’autres ont trainé. De plus, l’épidémie a révélé de fortes disparités entre les systèmes de santé. Ensuite, tout de même, les pays aujourd’hui coincés par une endettement public élevé ne sont pas des victimes tout à fait innocentes. Aider des pays qui durant des années ont commis des erreurs (indiscipline budgétaire, politiques de santé) et qui ont pris de mauvaises décisions face à la crise sanitaire, est une cause d’aléa moral. Relativiser l’importance de l’aléa moral pour construire un fonds de relance était justifié, mais cela ne signifie que la question doive-t-être ignorée.

L’existence de dettes publiques dangereusement élevées, la raison principale pour laquelle un fonds de relance européen est nécessaire, reste une source d’aléa moral. Un bon accord aurait simultanément créé un fonds de relance et mis en œuvre des mesures pour faire baisser les dettes le moment venu. Les pays dont la dette est élevée ne sont pas les seuls responsables, il existe aussi une bonne part de responsabilité collective. Cette responsabilité collective constitue le socle du Pacte de Stabilité et de Croissance. Si le pacte avait été efficace, vingt ans après sa mise œuvre, l’indiscipline budgétaire aurait dû avoir disparu. Tous les pays membres de la zone euro doivent admettre qu’ils ont collectivement failli. Ils ont créé un pacte qui ne fonctionne pas, et ne peut pas fonctionner. Ils l’ont constaté année après année, mais ils ne l’ont jamais reconnu, se contentant d’ajustements technocratiques relativement mineurs qui ont permis à l’indiscipline budgétaire de se perpétuer. Jamais ils n’ont envisagé d’autres mécanismes, parce que les avis divergeaient et un accord politique semblait impossible.

 

C’est là une limite grave du plan de relance. La création d’un fonds de relance européen était tout aussi difficile qu’une réforme en profondeur du Pacte de Stabilité, voire de son remplacement par un mécanisme alternatif (comme beaucoup d’autres, j’ai avancé, une proposition). Le plan de relance offrait une occasion unique de réformer l’approche de la discipline budgétaire dans la zone euro. La logique économique était d’éliminer l’aléa moral créé par la création du fonds. La logique politique, peut-être, était de rassurer les pays « frugaux » en échange de leur accord et d’exiger des pays endettés qu’ils acceptent un mécanisme de discipline budgétaire efficace en échange des transferts accordés.

 

Une autre occasion a été ratée. Les dettes publiques élevées, qui avaient déjà bien augmenté lors de la crise de la zone euro et qui sont en train d’encore grimper, sont dangereuses. Elles sont une source de fragilité, comme on l’a vu en 2010, et elles agissent comme une contrainte, comme on le voit en ce moment. De nombreuses propositions ont été avancées (dont la mienne) et ignorées, encore une fois parce que les pays membres sont en désaccord. De nombreux pays vont émerger de la crise sanitaire avec des niveaux d’endettement public menaçants. Ils seront à nouveau en situation précaire lorsqu’arrivera le prochain choc, tout aussi imprévisible que les précédents. L’accord européen n’aborde pas cette question.

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