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Le nouveau plan de relance européen – 3ème partie

3 août 2020

 

 

L’accord sur le plan de relance de 750 milliards d’euro a quelque chose d’enthousiasmant. Le nouveau mécanisme, qui atteint plus de 5% du PIB européen, est nécessaire pour que tous les gouvernements puissent encourager une reprise à la hauteur de la catastrophe économique créée par le Covid. Il constitue aussi une innovation importante et démontre un niveau élevé de solidarité. Cependant, au-delà des effets d’annonce et du soulagement budgétaire qu’il promet, les montants eux-mêmes sont modestes et de nombreux sujets d’inquiétude émergent des détails de l’accord et de ce qui n’y figure pas. J’examine ces inquiétudes en trois parties. Dans la première partie, je montre que les chiffres annoncés ne disent pas tout et que les dépenses arriveront sans doute trop tard. Dans la deuxième partie, j’explique que les questions d’aléa moral, qui ont rendu les négociations difficiles, ont été trop largement ignorées. Dans cette troisième partie, j’explique mes inquiétudes sur la manière dont ces 750 milliards seront dépensés.

 

 

 

Comment faire des eurobons sans les appeler eurobons ? Dans le nord de l’Europe, les eurobons sont devenus un véritable repoussoir et pourtant une forme ou une autre d’eurobons est indispensable pour sortir la zone euro – et donc de l’EU – de la crise économique provoquée par le Coronavirus. La solution, apparemment astucieuse, a consisté à charger la Commission Européenne d’emprunter en son propre nom. Une astuce qui va créer bien des difficultés, cependant. Si c’est la Commission qui emprunte, c’est la Commission qui va dépenser. Or les dépenses de la Commission sont toujours controversées, parfois même conflictuelles, ce qui nourrit depuis longtemps des doutes sur leur utilité. Le résultat de ce tour de passe-passe risque fort d’être compliqué sur le plan administratif, soumis à des arbitrages politiques et même peut-être une source de gaspillage.

 

Le déchiffrage des conclusions du Sommet Européen, qui s’est tenu du 17 au 21 juillet 2020, est ardu. Le communiqué mélange le budget multiannuel de 1074,3 millions d’euros et le programme de relance de 750 milliards. C’est intentionnel car il s’agit de montrer que le programme n’est qu’un « effort extraordinaire de relance » qui vient compléter le budget habituel de la Commission, rien à voir avec des eurobons, donc. Le communiqué présente des dizaines de programmes de dépenses, anciens et nouveaux, qui portent des titres ronflants mais vides de sens – comme RescEU ou Horizon Europe – et des acronymes qui ne peuvent que décourager la plupart des lecteurs.

 

Les présentations officielles du succès historique de ce Sommet mettent l’accent sur les 390 milliards d’euros qui seront distribués comme des dons, répartis sur trois ans, et accompagnés de prêts d’une valeur de 360 milliards. Ces dons représentent environ 2,8% du PIB de l’UE soit près de 1% par an. C’est une somme considérable, qui doublera presque le budget de la Commission entre 2021 et 2023.

 

Les pays membres devront consacrer ce montant à des dépenses que la Commission considère comme des bonnes causes. De fait, 77,5 milliards sont déjà affectés à certaines dépenses chères à la Commission. Ainsi, 47,5 milliards sont consacrés au programme ReactEU, qui vise à aider des industries en grande difficulté. On se prend à penser à des grandes entreprises zombie et à des groupes de pression. Une fois cette somme pré-affectée prise en compte, il reste 312,5 milliards pour la Facilité de Reprise et de Résilience (qui devient, bien sûr, l’acronyme FRR), qui inclue aussi les 360 milliards de prêts.

 

Pour recevoir ces dons, les pays membres devront présenter à la Commission leurs projets de dépenses. C’est ici qu’apparaissent les bonnes causes. Avec l’accord des pays membres, ces projets devront majoritairement être consacrés à la transition verte et à la transition digitale. La transition verte, qui remplace le Green New Deal cher à la Président von der Leyen, vise à réduire de 40% les émissions carbonées d’ici 2030, essentiellement en distribuant des subventions aux particuliers et aux entreprises. L’adoption d’une taxe carbone, qui serait bien plus efficace et qui ne coûte rien, n’est pas prévue au programme. De la même manière, c’est à coups de subventions qu’il est prévu de réussir la transition digitale. Ce programme évoque l’écho lointain de la Stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000 par la Commission Barroso, dont l’objectif annoncé était de « faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde d’ici 2010 ». C’était six ans après la création de Amazon et quatre ans avant celle de Facebook, sans la moindre subvention. Les ambitions irréalistes sont une vieille tradition européenne.

 

Rien ne garantit donc que les dépenses pour ces bonnes causes permettront d’atteindre les objectifs annoncés. Ce qui est clair, c’est qu’il y a un hiatus entre la « reprise », qui requiert des interventions immédiates, et les deux « transitions », qui relèvent du long terme. Le titre du fonds, la Facilité de Reprise et de Résilience, est assurément trompeur. En fait, le titre choisi pour l’ensemble du plan de 750 milliards, Next GenerationEU, correspond mieux aux ambitions, axées sur le long terme et bien éloignées des besoins immédiats d’accélérer la reprise. Avec un peu de cynisme, on peut se dire que peu importe où va l’argent, aussi longtemps qu’il est injecté dans l’économie européenne. Mais on peut aussi imaginer tous les comités qui vont sélectionner au niveau national les projets à soumettre à la Commission qui, elle-même va devoir créer ses propres comités de sélection. Quand l’argent à distribuer atteint des centaines de milliards, on peut encore imaginer la pression que toutes sortes de lobbies et d’entreprises vont appliquer pour recevoir une tranche de ce gigantesque gâteau.

 

Et, bien sûr, les gouvernements vont essayer de peser au maximum sur le partage. La deuxième partie de ce blog explique que certains pays recevront plus d’argent du fonds qu’ils n’y mettront, d’autres seront des contributeurs nets. Ces choix seront régis par des critères énoncés dans l’accord mais, encore une fois, il n’y a pas besoin d’une imagination débordante pour anticiper combien chaque gouvernement va s’efforcer de tirer la couverture à soi. Il s’agira d’obtenir le meilleur retour, de financer des entreprises nationales et toutes sortes de dépenses politiquement sensibles. Après tout, c’est ainsi que fonctionne le budget habituel de la Commission que Next GenerationEU vient officiellement compléter.

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